Je le pressentais en faisant le buffle courant : il fallait qu'il soit poursuivi par un fauve. C'est une lionne.
La scène représentée est un classique africain, sauf qu'on n'en voit ici qu'une partie. Une lionne seule ne s'attaquerait jamais à un gros buffle mâle comme celui-ci, qui ne semble ni malade, ni vieux. Elle ne le ferait qu'accompagnée de plusieurs autres fauves et à condition que le bovin ait été préalablement isolé du troupeau. Et même à plusieurs lionnes, il y a peu de chances qu'elles finissent par en venir à bout : il faut presque toujours l'aide d'un gros lion qui, plus lourd, plus fort, plus audacieux peut-être à défaut d'être moins paresseux, sautera sur l'échine du buffle, lui plantera ses puissantes griffes dans le dos, ses crocs dans le garrot et affaiblira ainsi sa proie. Une lionne s'attaquera à l'arrière-train, au risque de recevoir une ruade et de se faire casser une patte ou la machoire. Puis lorsque le buffle affolé et épuisé se sera arrêté, le lion tentera de lui casser les vertèbres d'une brusque torsion du cou, ou bien l'étouffera en emprisonnant bouche et naseaux dans sa propre gueule.
Dans la pièce ici montrée, le buffle a la tête basse et galope lourdement : il n'est pas encore fini mais sent confusément que tout cela finira mal, qu'il y a trop de fauves autour de lui, que le lâche troupeau a fui trop loin. Mais il vendra chèrement sa peau : aucun lion n'est encore sorti des fourrés et même s'il sait que cela viendra, il compte bien d'ici là esquinter le plus grand nombre possible de ces lionnes qui le harcèlent et l'épuisent.
La lionne, elle, est presque joyeuse : concentrée sur cette magnifique proie, elle l'accompagne dans sa course, tout prêt, peut-être un peu trop d'ailleurs car elle risque de recevoir un brûtal coup de cette redoutable corne où elle s'empalerait et qui la laisserait mortellement blessée.
Comme ses soeurs, son travail est de faire courir le buffle, de l'essouffler en attendant l'entrée en scène du seigneur et maître qui seul, pourra jeter bas ce monument de viande dont tous se régaleront bientôt. Alors elle galope, à très longues foulées, levant bien haut la queue qui lui sert de balancier.